Après l’euphorie des derniers jours et entre deux coupes de champagne, un peu de FUD [1] pour refroidir les esprits. Le petit scénario que je vous propose aujourd’hui n’est pas inédit – le contrôle supposé de Bitcoin par la Chine, notamment, est un thème récurrent – mais comme nous sommes peut-être au début d’une nouvelle phase d’adoption, il ne me semble pas inintéressant de remettre le sujet sur le tapis. Le 29 octobre 2020 la société canadienne BlockSeer annonçait la création d’une coopérative de minage d’un genre nouveau. Il ne s’agit plus de sélectionner les transactions uniquement sur des critères économiques (les transactions les plus lucratives), mais en excluant toutes les adresses figurant sur les listes noires de
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Après l’euphorie des derniers jours et entre deux coupes de champagne, un peu de FUD [1] pour refroidir les esprits. Le petit scénario que je vous propose aujourd’hui n’est pas inédit – le contrôle supposé de Bitcoin par la Chine, notamment, est un thème récurrent – mais comme nous sommes peut-être au début d’une nouvelle phase d’adoption, il ne me semble pas inintéressant de remettre le sujet sur le tapis.
Le 29 octobre 2020 la société canadienne BlockSeer annonçait la création d’une coopérative de minage d’un genre nouveau. Il ne s’agit plus de sélectionner les transactions uniquement sur des critères économiques (les transactions les plus lucratives), mais en excluant toutes les adresses figurant sur les listes noires de Walletscore, société spécialisée dans l’analyse de la blockchain, et de l’OFAC [2], organisme de contrôle financier dépendant du Département du Trésor des Etats-Unis. Pour séduire davantage encore le régulateur, les mineurs de la coopérative devront se soumettre à des procédures de KYC (Know Your Customer).
Au mois de septembre 2020 les autorités vénézuéliennes ont publié un décret qui oblige tous les mineurs de Bitcoin à rejoindre une coopérative nationale sous peine de sanctions.
Evidemment la probabilité que l’initiative de Blockseer fasse tache d’huile est, à ce stade, assez réduite. Des contraintes supplémentaires, potentiellement moins de frais de transaction collectés, les mineurs n’ont pas grand chose à y gagner. De même le décret vénézuélien n’est pas très inquiétant. D’une part parce que rien ne dit qu’il sera respecté et d’autre part parce que, si le Venezuela produit de l’électricité à faible coût, l’importation du matériel est laborieuse, ce qui limite grandement leur puissance de calcul.
Quelques mineurs « compliant » et une coopérative de minage nationale dont on n’est pas certain de l’efficience… pas de quoi, donc, fouetter un maximaliste.
Mais que se passera-t-il le jour où Bitcoin pèsera suffisamment pour inquiéter plus sérieusement les gouvernements et les grandes institutions financières ? C’est la question que pose Juraj Bednar dans un article intitulé « How could regulators successfully introduce Bitcoin censorship and other dystopias » publié en novembre dernier.
En substance :
Un organisme intergouvernemental d’action financière comme le GAFI [3] ne pourrait-il pas proposer à ses pays membres de nouvelles dispositions « anti-blanchiment » concernant Bitcoin ? Sous la conduite d’un tel organisme, les Etats volontaires, n’auraient-ils pas les moyens d’imposer ces recommandations aux mineurs installés sur leurs territoires ?
Pour l’essentiel le minage n’est depuis longtemps plus un activité clandestine et la puissance de calcul du réseau Bitcoin est principalement produite par des infrastructures industrielles, gérées par des sociétés qui ont pignon sur rue et qui exercent dans un cadre légal. Qu’est-ce qui empêcherait un groupe d’Etats coordonnés d’imposer aux mineurs de passer par ces coopératives (pools) labélisées qui filtrent les transactions ?
Un filtrage « modéré » qui se contenterait d’abord d’imposer à ces « coopératives agréées » des listes noires « raisonnables » ferait-il nécessairement fuir les mineurs vers d’autres cieux (avec tous les coûts que ça implique) ? Après tout, bloquer les UTXO d’un rançonneur, d’un escroc ou d’un voleur ne ferait véritablement de peine à personne. Et puis l’impact serait de toute façon faible, tout au plus un petit surcoût et une attente plus longue pour le propriétaire d’une adresse censurée (provisoirement censurée car un mineur hors de la « zone de contrôle » GAFI finira bien par inclure la transaction).
Mais que se passera-t-il si la part de la puissance de hachage « sous contrôle » dépasse les 50%, par exemple si la Chine adopte le dispositif ? Dès lors ce groupement d’Etats ne pourrait-il pas pousser ses pions un peu plus loin en exigeant des coopératives « agréées » qu’elles rejettent également les blocs non conformes, c’est-à-dire ceux qui continuent à inclure des UTXO des listes noires ? Les mineurs encore libres ne seraient-ils pas, dès lors, contraints eux aussi à se conformer aux nouvelles règles sous peine de produire des blocs orphelins et de perdre beaucoup d’argent ?
Certes, ce type de censure ne pourrait s’appliquer qu’aux UTXO identifiées et n’empêcherait personne (par exemple un dissident politique) de recevoir ou d’envoyer des fonds sur ou vers une adresse si on ne sait pas qu’elle lui appartient… mais cela mettrait un sérieux coup de canif à la résistance à la censure qui, pour beaucoup, est la raison d’être de Bitcoin.
On n’en est pas là évidemment, mais si le cours continue à grimper, ce scénario restera-il longtemps invraisemblable ?
Autre question tout aussi blasphématoire pour un maximaliste : Est-on sûr qu’une telle entreprise aurait nécessairement une action négative sur la valeur du bitcoin ? N’y aurait-il pas là une forme de normalisation qui pourrait séduire davantage encore les investisseurs institutionnels ?
N’hésitez pas à exprimer votre indignation dans les commentaires. ?
[1] Fear, Uncertainty and Doubt (peur, incertitude et doute).
[2] Office of Foreign Assets Control.
[3] Groupe d’action financière (GAFI) ou Financial Action Task Force (FATF).