L’indice « baguette » représente le temps de travail nécessaire pour acheter une baguette. Il explicite ce lien intuitif que nous faisons entre le coût d’un bien ou d’un service et une quantité d’énergie. En effet, le temps de travail est relié à la quantité d’énergie utilisée à une puissance donnée par l’équation Puissance = Energie/Temps. A ce stade, les plus attentifs de mes lecteurs pourraient objecter que la puissance de travail varie d’un individu à un autre et ils auraient raison : le temps de travail est une approximation et la quantité d’énergie est une mesure plus précise. Cependant, le temps de travail exprimé en minutes est une notion beaucoup plus parlante pour la plupart d’entre nous qu’une quantité d’énergie exprimée
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L’indice « baguette » représente le temps de travail nécessaire pour acheter une baguette. Il explicite ce lien intuitif que nous faisons entre le coût d’un bien ou d’un service et une quantité d’énergie. En effet, le temps de travail est relié à la quantité d’énergie utilisée à une puissance donnée par l’équation Puissance = Energie/Temps.
A ce stade, les plus attentifs de mes lecteurs pourraient objecter que la puissance de travail varie d’un individu à un autre et ils auraient raison : le temps de travail est une approximation et la quantité d’énergie est une mesure plus précise. Cependant, le temps de travail exprimé en minutes est une notion beaucoup plus parlante pour la plupart d’entre nous qu’une quantité d’énergie exprimée en Joules, d’où l’intérêt pédagogique de l’indice baguette.
La science de l’énergie est une source d’inspiration pour repenser l’économie à la lumière des trois principes fondamentaux qui régissent les forces de la nature : dans cet article, nous allons voir comment elle permet notamment de reformuler les définitions de la monnaie et de l’utilité.
En établissant une relation d’équivalence entre monnaie, travail et énergie, nous pouvons redéfinir une monnaie comme une représentation d’une quantité d’énergie : une information sous forme de preuve d’une énergie passée ou promesse d’une énergie future. Une monnaie est ainsi un système d’information permettant de transférer une quantité d’énergie (achetée avec la monnaie) dans le temps et dans l’espace.
Notons au passage, qu’une définition minimaliste se contenterait de poser qu’une monnaie est une technologie permettant de transférer une quantité d’énergie car la physique quantique nous apprend que tout transfert se fait à la fois dans le temps et dans l’espace : si nous restons immobiles (vitesse nulle), nous nous déplaçons uniquement dans le temps. Si nous nous déplaçons dans l’espace à une vitesse non nulle, notre vitesse de déplacement dans le temps diminue.
Entre la monnaie à preuve d’énergie qu’est Bitcoin et la monnaie promesse d’énergie qu’est la monnaie fiat (euro, dollar, etc), les monnaies à preuve d’enjeu se positionnent comme « green tech » au motif qu’elles ne monétisent aucune énergie significative. Qu’en est-il en réalité ?
Typiquement, une monnaie à preuve d’enjeu comme Tezos ou Cardano demande aux mineurs de prouver la possession d’une certaine quantité de crypto-monnaie pour pouvoir valider des blocs supplémentaires dans la chaîne de blocs. De ce fait, la preuve d’enjeu peut être vue comme une preuve d’énergie avec zéro énergie hormis celle nécessaire (et négligeable) à calculer les signatures. Semblable en cela à la monnaie fiat qui est une promesse d’énergie.
Dépourvues de preuve d’énergie passée, les promesses d’énergie future ou les preuves d’enjeu peuvent être créées en quantité illimitée. De plus, tous ces réseaux à preuve d’enjeu peuvent se multiplier et opérer en parallèle. Ces monnaies favorisent le court terme et la consommation en croissance illimitée plutôt que la frugalité et l’investissement.
En général, l’inflation incite les épargnants à se « débarrasser » au plus vite de leurs réserves en cash dans des investissements de toutes sortes, y compris de court terme. La création monétaire en quantité illimitée conduit au financement d’un nombre illimité de projets avec épuisement inéluctable des ressources naturelles.
A l’inverse, la preuve de travail de Bitcoin permet une création monétaire limitée, propice aux investissements de long terme. La valeur croissante de la monnaie rare évite aux investisseurs le souci de se protéger de l’hyperinflation caractéristique des monnaies créées en quantité illimitée : ils peuvent donc se tourner plus sereinement vers le financement de projets durables.
Les monnaies à preuve d’enjeu sont donc une forme dévoyée de monnaie à preuve d’énergie qui les fait ressembler aux monnaies fiat. Les monnaies fiat sont elles-mêmes des formes corrompues de monnaies à preuve d’enjeu car la banque « ne prête qu’aux riches » : plus grand est le patrimoine de l’emprunteur mesuré en euros, plus grande est la création monétaire (en euros) dont il va bénéficier par le crédit bancaire.
Si une représentation de l’énergie est une forme d’information, qu’est-ce qui différencie une information d’une quantité d’énergie ? L’information se distingue de l’énergie simplement par le fait qu’elle est réplicable (si je partage une information, j’en dispose encore après l’avoir partagée) alors que l’énergie ne l’est pas (cf premier principe thermodynamique de conservation de l’énergie). Un bitcoin qui est quasi impossible à répliquer (protection contre la double-dépense) se rapproche au plus près d’une forme d’énergie, non-réplicable, mais reste une information.
Comme on retrouve le catalyseur à la fin d’une réaction chimique catalytique, on retrouve l’information à la fin d’une transformation énergétique impliquant une réduction d’entropie.
En chimie, un catalyseur est une substance qui augmente la vitesse d’une réaction chimique ; il participe à la réaction mais il ne fait partie ni des produits, ni des réactifs et n’apparaît donc pas dans l’équation-bilan de cette réaction (source: Wikipedia). L’information est l’équivalent thermodynamique d’un catalyseur chimique : elle facilite (accélère) le travail (flux d’énergie) et permet d’économiser de l’énergie sans entrer dans le bilan énergétique. L’information se retrouve intacte à la fin de la transformation énergétique. Par exemple, les instructions de montage d’un meuble en kit permettent d’accélérer le travail de montage, c’est à dire le flux d’énergie, mais restent disponibles pour monter un autre exemplaire du meuble en question.
Une monnaie n’est donc pas une matière première car une matière première est un stock d’énergie (exemples : pièce d’or, baril de pétrole), comprenant, notamment, l’énergie nucléaire des atomes, l’énergie de liaison des molécules, l’énergie potentielle de gravitation et, plus généralement, toute énergie supplémentaire résultant d’une force d’interaction. Le troc est un échange de stocks d’énergie tandis qu’un échange monétaire met en jeu une information qui représente de l’énergie. Cette information est « utile » car celui qui s’en sert bénéficie d’un transfert d’énergie dans l’espace et/ou dans le temps. Après la transaction monétaire, l’information représentant l’énergie existe toujours et requiert donc un mécanisme de prévention de la double dépense : le livre de compte centralisé avec les banques ou décentralisé avec Bitcoin.
L’utilité d’un bien ou d’un service se mesure à la quantité d’énergie qui peut être épargnée ou libérée par ce bien ou ce service.
Par exemple, l’utilité d’une charrue est la différence entre l’énergie utilisée par le paysan pour labourer son champ avec la charrue et l’énergie qu’il aurait dû déployer pour faire la même chose sans la charrue. C’est une énergie épargnée. L’utilité est le déterminant principal du prix de la charrue car elle fixe un plafond en cas de rareté de la charrue. S’il y a pléthore de charrues, le prix de la charrue peut se situer en-dessous. Le coût de fabrication de la charrue représente les stocks et les flux d’énergie utilisés dans le processus de fabrication et fixe un plancher pour le prix qui va donc fluctuer entre coût et utilité. Ces fluctuations sont dictées par la fameuse loi de l’offre et de la demande, elle-même soumise aux rapports de force qui peuvent exister entre acheteurs et vendeurs.
Bitcoin est utile économiquement en tant que système monétaire avec ses propriétés qui le différencie des systèmes classiques de monnaie-dette comme sa résistance à la censure et sa quantité limitée. Il est utile aussi socialement parce qu’il fixe indirectement un prix plancher planétaire pour les flux d’énergie : les énergies renouvelables et le travail.
Bien sûr l’utilisation de l’énergie par Bitcoin l’expose aux comparaisons trompeuses des propagandistes du statu quo : le minage de l’or, les data centers de Youtube, Youporn et des banques, tous ces systèmes utilisent chacun davantage d’énergie que Bitcoin. Ils utilisent une énergie en forte demande alors que Bitcoin utilise d’abord l’énergie la moins chère.
Les data centers des banques doivent en effet se situer près des grands axes densément peuplés où la demande en énergie est déjà forte alors que les mineurs Bitcoin peuvent pratiquer un arbitrage géographique pour opérer là où l’énergie est moins chère c’est-à-dire là où existent des surplus de production. Or les surplus n’apparaissent qu’avec un flux d’énergie (renouvelable) car la vente d’un stock d’énergie (fossile) peut toujours être différée pour le vendre au plus haut de la demande. Un prix plancher sécurise les investissements dans les énergies renouvelables.
Notons enfin que la notion de bilan carbone brandie à tout bout de champ par certains soi-disant écolos est souvent incomplète. L’ADEME en France, le WBCSD et le WRI aux USA ont défini un « bilan » qui ne s’intéresse qu’aux émissions de gaz à effets de serre et non à l’utilité telle que nous l’avons définie.
Je cite la définition prônée par l’ADEME : « Un Bilan GES est une évaluation de la quantité de gaz à effet de serre émise (ou captée) dans l’atmosphère sur une année par les activités d’une organisation ou d’un territoire. »
Le bilan est alors tronqué au sens comptable sous-tendu par le choix du mot « bilan » : le coût énergétique et les émissions de gaz à effet de serre liés à la production ne représentent que la colonne « passif ». L’utilité, c’est dire l’énergie économisée ou libérée, devrait y figurer dans une colonne « actif » qui manque aujourd’hui. Par exemple, Bitcoin, en tant que substitut à l’or, permettrait d’économiser le coût du minage de l’or, nettement plus polluant. On voit bien qu’exclure la colonne « utilité » du bilan carbone permet à certains de décider arbitrairement pour la collectivité ce qui est utile et ce qui ne l’est pas, en fonction de leur agenda.
La « green tech » n’est pas toujours celle qu’on croit.
A propos de l’auteur
Pierre Noizat, pionnier français du bitcoin et des blockchains, a cofondé les exchanges Paymium et Blockchain.io dont il est le CEO. Conférencier, il est également l’auteur de plusieurs livres sur le sujet, dont Bitcoin, mode d’emploi paru en janvier 2015, et du blog e-ducat.fr consacré aux monnaies numériques décentralisées.
Cet article a été publié initialement le 25 octobre 2021 sur e-ducat.fr sous la licence Creative Commons Paternité – Partage à l’Identique 2.0 France.