Face au projet d’extension du régime qui encadre les PSAN [1], l’ADAN [2] souhaite établir des règles plus proportionnées et mieux adaptées. En 2019, la France s’est dotée d’une réglementation inédite et innovante pour encadrer les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN). Mais alors que ce régime aspirait à l’émergence d’une industrie forte et compétitive, la France explore actuellement la possibilité de modifier ce régime, en rendant obligatoire l’enregistrement des acteurs “crypto-crypto” et leur soumission à de nouvelles exigences. L’ADAN souhaite alerter sur les risques associés à une telle évolution du régime PSAN : En l’état, le dispositif envisagé est inadapté aux actifs numériques, et donc inefficient
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Face au projet d’extension du régime qui encadre les PSAN [1], l’ADAN [2] souhaite établir des règles plus proportionnées et mieux adaptées.
En 2019, la France s’est dotée d’une réglementation inédite et innovante pour encadrer les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN). Mais alors que ce régime aspirait à l’émergence d’une industrie forte et compétitive, la France explore actuellement la possibilité de modifier ce régime, en rendant obligatoire l’enregistrement des acteurs “crypto-crypto” et leur soumission à de nouvelles exigences.
L’ADAN souhaite alerter sur les risques associés à une telle évolution du régime PSAN :
- En l’état, le dispositif envisagé est inadapté aux actifs numériques, et donc inefficient contre la criminalité financière.
- Il est aussi doublement disproportionné : les risques posés par les transactions “crypto-crypto” sont extrêmement faibles, et les coûts induits par cet assujettissement — à une industrie encore balbutiante — excessifs à leur échelle.
- Le marasme économique que nous vivons actuellement meurtrit toute l’économie française, et l’industrie est trop affaiblie pour anticiper ces nouvelles obligations
C’est ainsi que l’ADAN a adressé la lettre ci-dessous à plusieurs élus français et demande que les autorités concernées optent pour un report de l’extension du régime d’enregistrement, en prenant le temps de la réflexion et de la concertation.
Nous proposons, en lieu et place, d’établir des règles plus proportionnées et mieux adaptées à cette industrie pour assurer les objectifs de sécurité financière qui sont défendus par l’ADAN.
Nanterre, le 29 avril 2020
Objet : Crypto-actifs — Arbitrage sur l’extension du régime des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN)
Chère Madame, cher Monsieur,
L’ADAN est une association loi 1901 dont la mission est de fédérer l’industrie des actifs numériques et de promouvoir son développement. Elle réunit à ce jour 24 acteurs du secteur français, parmi lesquels le premier et aujourd’hui unique acteur enregistré en tant que prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) ; d’autres membres ont déposé leur dossier auprès des autorités dans l’ambition de le devenir.
Nous tenions à vous alerter car nous avons compris qu’un arbitrage est en passe d’être réalisé sur la question de l’extension de l’encadrement des prestataires. Cette extension potentielle pourrait avoir un impact très négatif sur l’essor d’un secteur que la France ambitionne pourtant, selon tous les messages politiques envoyés depuis 2018, de voir se développer sur son territoire.
Nous nous permettons cette alerte car cette extension, déjà critiquable sur le fond, serait d’autant plus délétère dans la période de récession économique sans précédent que nous traversons actuellement et qui risque de s’installer durablement.
Plus précisément, l’arbitrage politique en cours concerne la question d’imposer aux acteurs dits “crypto-crypto” (qui ne réalisent pas de conversion depuis ou vers une monnaie légale) de respecter l’ensemble des règles en matière d’identification des clients et de surveillance des flux imposées aux établissements bancaires et financiers — le tout vérifié par les régulateurs par un contrôle a priori de leur dispositif (respect des obligations LCB-FT). A défaut, les acteurs se verraient interdits d’exercer leurs activités auprès du public français. Pour rappel, en l’état actuel de la réglementation ces acteurs peuvent se soumettre volontairement à ces obligations en vue d’obtenir un agrément des autorités, mais n’y sont pas contraints. C’est toute l’innovation du système français, salué pour sa grande souplesse.
Nous souhaitons exprimer notre opposition à cette extension, pour les raisons suivantes :
- Un dispositif LCB-FT français inadapté. De manière générale, le dispositif LCB-FT “traditionnel“ est, sous de nombreux aspects, inadapté aux spécificités des marchés des actifs numériques, et par là même inefficient en matière de prévention et gestion des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme : son application en l’état n’est donc ni raisonnable ni souhaitable. Une rapide observation des dispositions prises au niveau de nos pays voisins permet de confirmer ce constat. Au Luxembourg par exemple, les règles LCB-FT ont été allégées pour s’adapter aux spécificités du secteur et la vérification des mesures LCB-FT est réalisée a posteriori via des audits. Ceci semble déjà plus raisonnable tout en préservant la sécurité financière dont ce dispositif se veut le garant.
- Un risque associé aux transactions “crypto-crypto” extrêmement faible. Les actes de blanchiment et financement du terrorisme via des plateformes “crypto-crypto” représentent une portion infime des actes de blanchiment. Ce risque spécifiquement faible des échanges crypto-crypto a d’ailleurs été explicitement qualifié par le Ministère de l’Economie et des Finances, dans son analyse nationale des risques LCB-FT de septembre dernier (voir page 64 : “[…] a contrario, les activités de conversion dites « crypto-crypto » (conversion entre deux crypto-monnaies) sont moins exposées [aux risques de blanchiment] puisqu’elles ne permettent pas directement une réinjection des fonds dans les circuits économiques classiques.”).
La disproportion de la mesure par rapport aux risques encourus est réelle et délétère pour une industrie naissante. Les coûts induits par cet assujettissement obligatoire (estimés à plusieurs dizaines à centaines de milliers d’euros annuels selon la taille de l’entreprise et son nombre de clients) ainsi que les démarches additionnelles qu’elles imposent aux clients et aux prestataires porteraient un coup significatif à la compétitivité de l’industrie française des actifs numériques, dont l’issue irrémédiable ne peut être qu’un blocage définitif du développement des acteurs français. Avancer seuls sur ce sujet, c’est condamner inéluctablement l’écosystème français qui fera face à une structure de coûts qui ne sera pas viable et une lourdeur administrative pour les clients de nature à les faire fuir. - Enfin, assujettir les acteurs “crypto-crypto” obligatoirement sera catastrophique à l’aune du marasme économique sans précédent qui se profile. Cette crise a justifié que nombre de dispositions soient prises pour aider les entreprises à traverser les moments difficiles qui s’annoncent. Il doit en aller de même pour les mesures énoncées et ce d’autant plus lorsqu’elles sont inadaptées et précipitées, et que le risque porté par les acteurs demeure hypothétique ou infime : prévoir un moratoire sur ces mesures apparaît essentiel, le temps de revenir à une situation économique favorable.
En conclusion, la modification du régime légal et réglementaire des PSAN, alors même que le statut vient à peine d’entrer en vigueur et que les tout premiers enregistrements viennent à peine d’être délivrés, nous semble précipitée. L’urgence calendaire était, nous le comprenons, dictée par l’audit imminent de la France par le GAFI prévu initialement en juin 2020. Mais le GAFI a récemment confirmé qu’il repoussait l’audit de la France d’une année. Cette urgence étant écartée, et dans un contexte où l’Union européenne a indiqué vouloir légiférer rapidement sur les actifs numériques, l’arbitrage court-terme doit pencher vers un report de cette extension, le temps de réaliser un travail sérieux d’adaptation de nos procédures LCB-FT au monde des actifs numériques. Il est en effet fondamental que les règles d’application de ces dispositifs soient aménagées en prenant en compte les spécificités des marchés des actifs numériques et leur fonctionnement particulier. Cet ajustement nécessite des réflexions concertées entre les autorités et les entreprises et le recul approprié notamment dans le contexte exceptionnel que nous traversons. La présente conjoncture ayant déjà amené le GAFI à reporter sa visite en France au mois juin 2021, ce délai pourrait, et devrait, être utilisé à bon escient que les autorités françaises afin d’avancer avec plus de prudence et de clairvoyance avec l’industrie.
Pour se laisser le temps de la réflexion, et ce d’autant plus dans un contexte où l’Union Européenne va légiférer dans les prochains trimestres sur ces aspects, il est urgent d’attendre. Nous recommandons par conséquent un arbitrage de rejet de cette extension.
Nous espérons que cette position fera écho à vos convictions sur le sujet et nous serions ravis de nous entretenir sur le sujet plus avant à votre meilleure convenance.
Nous vous remercions par avance pour votre retour, et le temps consacré à nous lire.
Bien cordialement,
Simon Polrot
Président de l’ADAN
[1] Prestataires de services sur actifs numériques
[2] Association pour le développement des actifs numériques