J’ai passé une grande partie des trois dernières années à expliquer Bitcoin au grand public et la résistance la plus courante qu’on m’a opposée c’est que « Bitcoin est trop compliqué » et que « les masses ne comprendront jamais ». C’est un argument valable. Bitcoin est compliqué et si vous voulez obtenir à une vision complète du panorama, il faudra d’abord connaitre l’Histoire de la monnaie puis comprendre le fonctionnement des réseaux peer-to-peer et de la cryptographie. C’est pour cette raison que je trouve étrange d’entendre des amis affirmer que Bitcoin est « inévitable ». On semble croire qu’un jour le grand public comprendra soudainement les mérites de Bitcoin et l’adoptera par lui-même. Ce n’est certainement pas ce qui
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J’ai passé une grande partie des trois dernières années à expliquer Bitcoin au grand public et la résistance la plus courante qu’on m’a opposée c’est que « Bitcoin est trop compliqué » et que « les masses ne comprendront jamais ».
C’est un argument valable. Bitcoin est compliqué et si vous voulez obtenir à une vision complète du panorama, il faudra d’abord connaitre l’Histoire de la monnaie puis comprendre le fonctionnement des réseaux peer-to-peer et de la cryptographie.
C’est pour cette raison que je trouve étrange d’entendre des amis affirmer que Bitcoin est « inévitable ». On semble croire qu’un jour le grand public comprendra soudainement les mérites de Bitcoin et l’adoptera par lui-même. Ce n’est certainement pas ce qui m’est arrivé. Pour comprendre Bitcoin j’ai dû passer des heures à lire des articles, des livres, à écouter des podcasts, à regarder des vidéos et à débattre des concepts sous-jacents sur des forums. Peut-être que si Andreas Antonopolous n’avait pas mis en ligne 500 vidéos ou que Nathaniel Popper n’avait pas écrit Digital Gold, je ferais aujourd’hui partie de ceux qui considèrent que Bitcoin est une escroquerie.
La croyance inverse c’est que Bitcoin est tout simplement trop compliqué pour que de simples mortels le comprennent, et que l’adoption de masse ne se produira que lorsque Bitcoin et le Lightning Network sont si simples que les grand-mères pourront l’utiliser. Dans The Gates of Bitcoin, John Carvalho appelle cela « l’erreur du rasoir de grand-mère » : la croyance qu’une culture élitiste doit envelopper tout nouvelle technologie pour « protéger » les gens d’eux-mêmes. Il souligne également : « Heureusement, les humains ont démontré leur capacité à comprendre n’importe quoi quand ils ont une motivation suffisante pour le faire. »
Nous avons vu cela se reproduire encore et encore dans les 11 ans d’histoire de Bitcoin. En 2011, Wikileaks a appris à utiliser Bitcoin très rapidement quand Visa, MasterCard, PayPal et Western Union ont suspendu ses comptes sous la pression du Sénat américain. Bien que Satoshi Nakamoto lui-même ait demandé à Wikileaks de NE PAS utiliser Bitcoin [NdT : pour ne pas attirer l’attention sur un projet qui lui semblait encore immature], Wikileaks l’a quand même fait et on estime que l’organisation a reçu environ 4000 BTC de dons. Non seulement ça a maintenu Wikileaks en vie malgré l’effort coordonné pour le tuer financièrement, mais ça lui a constitué un trésor qui lui permet de subsister aujourd’hui encore.
Un autre exemple, mon préféré, date de 2014. La Women’s Annex Foundation (WAF) en Afghanistan a utilisé Bitcoin pour payer ses membres pour leurs travaux de rédaction, de développement de logiciels et de montage vidéo. C’était sous le régime taliban et les femmes n’étaient pas autorisées à posséder des comptes bancaires, à gagner leur vie par elles-mêmes ou même à aller à l’école.
La motivation est une chose puissante. Quand c’est une question de vie ou de mort, les gens découvrent soudain qu’il n’est pas si difficile de télécharger une application mobile et de copier-coller une adresse. Bitcoin ne devient soudainement beaucoup plus simple.
Je veux revenir un peu plus sur la complexité de Bitcoin. Il y a des nuances à établir. Bitcoin est certainement difficile à comprendre, mais cela ne veut pas dire qu’il est difficile à utiliser. La plupart des gens peuvent conduire une voiture ou envoyer un email sans comprendre le moteur à combustion interne ou le protocole SMTP (Simple Mail Transfer Protocol). Et les deux sont sans doute considérés comme « trop compliqués » pour les masses.
L’idée même de « difficulté » peut être analysée. Je vais la décomposer en deux concepts : la difficulté technique et la difficulté perçue.
La difficulté technique est la compétence requise pour exécuter quelque chose, comme télécharger une application, conduire une voiture ou jouer du violon. Vous devez apprendre à utiliser l’outil. Les concepteurs peuvent (partiellement) réduire les compétences requises en créant des outils conviviaux, mais on ne peut s’en passer complètement. Pourtant, lorsque nous regardons le nombre de personnes qui peuvent conduire des voitures et utiliser les médias sociaux, nous voyons que des millions de gens, y compris des mamies, sont prêts à apprendre des opérations complexes si en échange ils peuvent se rendre au centre commercial ou débattre avec des anonymes sur Twitter.
La difficulté perçue est l’obstacle psychologique, c’est-à-dire la croyance que quelque chose est difficile. C’est quand on renonce à essayer de comprendre quelque chose parce que cela semble trop difficile. La difficulté perçue est omniprésente. Les gens prétendront qu’il est « trop difficile » de suivre un régime ou d’étudier pour un examen lorsque, même lorsque du point de vue de la difficulté technique, les choses sont faciles : Ne pas manger le gâteau, aller dans sa chambre et étudier. Le problème, ce sont les incitations. Les gens ne veulent pas étudier et veulent bouffer le gâteau. Les amener à changer de comportement n’a rien à voir avec la difficulté technique et tout à voir avec la motivation.
J’ai rencontré plusieurs fois ce type de difficultés dans Bitcoin. Les gens me disent souvent, par exemple, qu’ils ont acheté des bitcoins mais qu’ils les ont laissés sur un exchange. Et à chaque fois que j’expliquais que c’était une mauvaise idée [et que je leur suggérais de détenir eux-même leurs bitcoins], ils me répondaient : « C’est trop compliqué ». Cela m’a incité à écrire non pas un, mais deux articles. L’un pour expliquer pourquoi garder Bitcoin sur un exchange est une mauvaise idée, et l’autre pour expliquer comment configurer un portefeuille, en faisant aussi court et simple que possible. J’ai envoyé les deux articles à l’une de ces personnes. Finalement, elle a cédé, elle a téléchargé un wallet, sauvegardé sa phrase de récupération et a retiré ses bitcoins de l’exchange. « Ok, ce n’était pas si difficile », a-t-elle finalement convenu.
Avec Lightning, nous pourrions éventuellement être en mesure de réduire complètement la difficulté technique liée à l’utilisation de Bitcoin. Sur le Lightning Network, vous n’avez pas besoin de penser aux blocs, aux confirmations ou aux frais. À mesure que le réseau mûrit, vous n’aurez peut-être plus à vous soucier des canaux ou de leur capacité. Et avec des produits comme Strike, vous n’aurez peut-être même pas besoin de savoir que vous utilisez Lightning. L’ambition de Lightning est de fournir à terme une expérience utilisateur extrêmement simple tout en conservant la liberté et l’autonomie qui font l’intérêt et la réputation de Bitcoin. Mais même si cette situation était possible dès demain, la difficulté perçue resterait.
La bonne nouvelle est que la difficulté perçue est finalement une culture. Quand j’étais enfant, l’utilisation d’un ordinateur était considérée comme tellement ardue que vous aviez besoin d’un cours d’informatique pour être apte à en utiliser un. Aujourd’hui, vous êtes considéré comme fonctionnellement analphabète si vous ne pouvez pas utiliser un ordinateur à l’âge de dix ans. Mais les habitudes ne changent pas d’elles-mêmes. Nous devons être proactifs si nous voulons que Bitcoin devienne tout ce qu’il pourrait être pour ceux qui en ont besoin. Nous devons modifier sa perception et aligner les incitations…
Extrait traduit d’un article d’Imran Lorgat publié le 6 août 2020 dans Bitcoin Magazine.